Tout savoir sur l'incertitude dans la mesure de l'empreinte carbone

Tout savoir sur l'incertitude dans la mesure de l'empreinte carbone

Lors de l'établissement du bilan d'émissions de GES d'une organisation, un des objectifs doit être de minimiser l’incertitude des émissions comptabilisées. D'où proviennent les incertitudes ? Comment les limiter et surtout comment les intégrer dans l'analyse de l'empreinte carbone ?

Maxime Richer

Maxime Richer

Climate consultant

Mise à jour :
12/8/2024
Publication :
21/7/2023

Qu'est-ce que l'incertitude dans la mesure des émissions carbone ?

L'empreinte carbone, une estimation inexacte par nature

Les différentes méthodologies existantes de calcul de l'empreinte carbone ont vu le jour afin de permettre aux organisations d'estimer leurs émissions de gaz à effet de serre à partir de leurs données d'activités : consommations énergétiques, quantité de matières ou de produits achetés, kilomètres parcourus, etc.

S'il existe des appareils et techniques permettant de mesurer directement dans l'air les émissions de gaz à effet de serre, cette approche n’est évidemment pas viable pour mesurer rapidement et efficacement les émissions induites par les activités des entreprises, même des plus petites. Il était donc nécessaire, afin d'inciter les organisations à réduire leurs émissions, de faire émerger des standards de calcul leur permettant d'accéder "simplement" à une valeur estimée de leur quantité d'émissions de gaz. C'est ainsi que sont nées les différentes méthodologies d'établissement de bilan de gaz à effet de serre.

Ce que l'on appelle donc couramment "empreinte carbone d'une entreprise" est donc le résultat de différentes collectes de données, elles-mêmes mesurées, et d'opérations (multiplications, sommes, extrapolations, etc.) opérées sur ces données. Par sa nature même, le calcul d'une empreinte carbone est une estimation qui comporte donc une part d'incertitude.

Il est important de rappeler que la démarche dans l'établissement du bilan carbone de son entreprise, n'est pas de comparer le résultat obtenu avec d'autres acteurs, ce qui donnerait lieu à des débats sans fins sur les méthodes de calcul, mais bien de permettre d'identifier des leviers de décarbonation et de répéter l'exercice dans le temps afin de constater la pertinence et l'efficacité es efforts de décarbonation déployés par son organisation.

Rappel : comment est calculée une empreinte carbone ?

De manière simplifiée, calculer l'empreinte carbone d'une entreprise revient à faire la somme des émissions induites par son activité. Les émissions de chaque activité induite étant obtenues en multipliant une donnée d'activité physique mesurée (des KWh d'énergie consommés, des euros dépensés, des kilos de matières achetés, des quantités de produits acheté et vendus, des m2 d'espace de bâtiment ou de terre occupé, etc.) par un facteur d'émission permettant la conversion en une unité unique de référence qu'est l' "équivalent CO2" (CO2e).

Les méthodes de calcul de l’empreinte carbone se basent donc sur des équivalences établies entre une quantité de ressource connue et consommée par l’entreprise et une quantité de dioxyde de carbone équivalent rejetée dans l’atmosphère pour la production de ces ressources ou activités. Par exemple, nous considérons généralement que la consommation de 1 kg de tomates correspond à 0,624 kgCO2e émis (lors des procédés d’agriculture, du transport, de la distribution…).

Cette conversion est permise grâce à des facteurs d’émissions. Ces derniers sont calculés grâce à des recherches en laboratoire, des études de cas, des moyennes et extrapolations, …

Quelles sont les sources d'incertitude lors du calcul d'une empreinte carbone ?

Lors de la réalisation d’un bilan de gaz à effet de serre (GES), l’incertitude se situe donc principalement à deux endroits : au niveau des données d’activité récoltées et au niveau des facteurs d’émissions (FE) choisis. En résulte une incertitude sur le résultat final du total d'émissions de GES calculé.

La comptabilité GES reposant sur la multiplication puis la somme de données portant toutes un niveau d'incertitude, le résultat final de quantité totale de GES émis obtenu porte donc également un niveau d'incertitude. On parle dans ce cas d’agrégation de l’incertitude. C’est pourquoi il est également important de toujours considérer un Bilan Carbone comme un ordre de grandeur et non comme une valeur exacte.

Les raisons de l'incertitude portée par les données d'activité et les facteurs d'émissions sont multiples :

  • Manque d'exhaustivité : la quantité de données source influe sur la précision.
  • Manque de fiabilité : la qualité de la mesure ou le niveau d'estimation.
  • Manque de représentativité temporelle : la "fraîcheur" des données dont la dernière mise à jour peut dater.
  • Manque de représentativité géographique : la correspondance d'une donnée utilisée pour estimer la réalité du terrain.

L'incertitude portée par les données d’activité

Le niveau d’incertitude des données d’activité est fixé empiriquement en fonction de leur origine et qualité.

  • Si la donnée est mesurée ou “spécifique” on estime l’incertitude entre 0 et 5%. C’est par exemple le cas pour une donnée de consommation électrique relevée sur un compteur.
  • Si la mesure est extrapolée ou “semi-spécifique”, l’incertitude est estimée à 30%. Si par exemple le relevé de compteur électrique n'est possible que pour 3 des 5 sites d’une entreprise ; une extrapolation des données pour les 2 sites restants peut être faite et le résultat portera donc une incertitude plus grande.
  • Si la mesure est statistique ou “générique” l’incertitude estimée est à 50%. Cela correspond par exemple à la statistique sur le déplacement domicile travail moyens des Français.

Cette catégorisation de l’incertitude est établie en France par l’Association pour la transition Bas Carbone (ABC) qui porte et diffuse également la méthodologie de référence qu'est le Bilan Carbone®.

L’incertitude portée par les facteurs d’émissions

Pour les facteurs d’émissions, l’incertitude provient de la manière dont le facteur d’émission a été déterminé ainsi que du nombre et de la précision des paramètres entrant en jeu dans son calcul. L’ADEME qui propose une des bases de données de facteur d'émission la plus importante au monde, propose une estimation de l’incertitude sur la plupart de ses facteurs d’émissions ainsi qu’une documentation sur l’origine du facteur afin de bien expliciter le mode de calcul de chaque facteur d'émission.

Une incertitude “faible” de l'ordre de 5% correspond par exemple au facteur d'émission de la combustion de carburant. La quantité de CO2 émise par la combustion d'un litre de carburant a pu être mesurée assez précisément. Selon les conditions de combustions, tout le carburant consommé ne va pas se transformer en CO2 (imbrûlés, COV, ...), ce qui explique la faible incertitude persistante.

Une incertitude élevée de l'ordre de 50% correspond par exemple aux facteurs d'émissions de CO2e par kilomètre d'un véhicule de fret routier. Dans ce cas les émissions réelles peuvent varier en fonction du type de conduite, de la météo, de la topographie et du taux de remplissage réel du camion.

L’incertitude portée par les facteurs d’émissions monétaires est bien plus importante que celle portée par les facteurs d'émissions physiques. En effet les facteurs d'émissions monétaires portent généralement une incertitude de l'ordre de 80%. C'est notamment le cas de la plupart des facteurs d'émissions monétaires présents dans la base ADEME.

C’est pourquoi il est préférable dans la mesure du possible d’utiliser des données spécifiques à son propre cas plutôt que des données générales. En reprenant l’exemple du fret routier, utiliser une donnée sur sa propre consommation de carburant est mieux qu’une donnée générale sur les émissions moyenne par km.

Pour réduire l'incertitude d'un bilan, les organismes de référence recommandent l'utilisation de données d'activité physiques et spécifiques et le choix des facteurs d'émissions les plus spécifiques possible. Il est donc fortement recommandé d'utiliser les données monétaires uniquement en cas de dernier recours afin de garantir un Bilan Carbone exploitable dans le temps.

Pourquoi est-ce important de tenir compte de l'incertitude lorsque l'on réalise un Bilan Carbone ?

Afin de proposer un reporting d’excellence, la méthodologie Bilan Carbone® recommande de respecter, entre autres, des principes d'exactitude et d'exhaustivité dans les émissions mesurées. Cela signifie que les biais et les incertitudes doivent être réduits au maximum et tout en cherchant à couvrir un maximum d’émissions au cours de sa mesure.

Mesurer l’incertitude, c’est également se donner la capacité d'améliorer la qualité de son Bilan Carbone dans le temps. Il faut savoir que le calcul précis de l'incertitude n’est pas obligatoire pour tous les standards méthodologiques bien que généralement encouragé, au moins de manière qualitative. Par exemple, il est obligatoire de renseigner les incertitudes des postes d’émissions dans le cadre de la réalisation d'un Bilan Carbone® mais ce n’est qu’optionnel pour le BEGES et le GHG Protocol.

Suivre et réduire l’incertitude sur son empreinte carbone permet :

  • de repérer les sources d’incertitude et d’améliorer la qualité de son bilan de gaz à effet de serre d'année en année.
  • d’obtenir un bilan carbone plus fiable dans le temps et donc plus exploitable pour opérer sa transition et réduire son impact.
  • d’avoir des bilans plus homogènes et donc plus facilement comparables entre différentes années ou différentes entités.
  • de ne pas être biaisé dans l'identification de ses leviers de décarbonation et la priorisation de son plan d'action de décarbonation.

Comment sont calculées l'incertitude globale et celle associée aux postes d'émissions ?

L'incertitude portée par les données d'activité et les facteurs d'émissions est généralement associée un intervalle de confiance de 95%, c’est-à-dire que la probabilité pour que la valeur réelle soit contenue dans cet intervalle (par exemple + ou - 30%) est de 95%.

Une fois que toutes les données ont une incertitude associée, deux formules sont utilisées pour agréger les incertitudes. La première formule (A) permet d'obtenir l'incertitude d'une somme, exprimée en pourcentage :

La seconde formule (B) permet d'obtenir l'incertitude d'un produit, également exprimée en pourcentage :

Pour obtenir l'incertitude associée à l'empreinte carbone d'une entreprise nous allons combiner les incertitudes en suivant les étapes suivantes :

  1. Utiliser la première formule (A) pour obtenir l'incertitude associée à la mesure d'une donnée d'activité d'un poste d'émission. La formule étant appliquée aux incertitudes des différents points de mesure d'une même donnée d'activité (ex. la quantité d'électricité consommée par tous les sites d'une entreprise).
  2. Utiliser la seconde formule (B) pour obtenir l'incertitude associée à la valeur en CO2e d'un poste d'émission. La formule est dans ce cas appliquée à l'incertitude de la donnée d'activité calculée au point précédent et à l'incertitude du facteur d'émission permettant d'obtenir une valeur en CO2e.
  3. Enfin on utilise de nouveau la première formule (A) pour obtenir l'incertitude associée à la valeur d'émissions totales de l'entreprise. La formule est dans ce cas appliquée aux incertitudes de l'ensemble des données de poste d'émissions calculées par répétition des deux points précédents.

Les limites du calcul d'incertitude dans l'analyse de son empreinte carbone

On observe avec l'enchaînement de formule précédent que plus nous avons un nombre important de valeurs, plus l’incertitude totale tend à diminuer. C'est à la fois intéressant car cela encourage évidemment à l'exhaustivité dans la collecte de données, mais cela peut également potentiellement mener à biaiser les analyses du résultat en diminuant le poids de l'incertitude associée à certaines données ou certains postes d'émissions.

Au niveau du calcul d'un poste d'émission par exemple. Une entreprise qui collecterait de nombreuses données de dépenses effectuées chez différents fournisseurs d'un même produit et qui utiliserait un unique facteur d'émission monétaire, très incertain, pour obtenir les émissions équivalentes, obtiendrait une incertitude finale sur ses émissions moyenne voir faible. Ce qui pose problème ici est la capacité d'analyse et de prise de décision qui en découle, ne permettant pas de répondre à des questions comme "Avec quel fournisseur travailler en priorité pour réduire mes émissions scope 3 ?"

Les formules de calcul d'incertitude agrégée présentées précédemment se basent sur l'hypothèse d'une faible corrélation entre les points de données, ce qui n'est pas toujours le cas dans la pratique suivant la méthodologie carbone appliquée aux données sources. Dans certains cas, si l'on ne prête pas attention à la corrélation entre les données, le fait d'utiliser un grand nombre de données sources peut amener à faire baisser artificiellement l'incertitude agrégée et donc de biaiser l'analyse du Bilan Carbone et des leviers d'action à envisager. Dans le cas d'une forte corrélation entre données sources portant chacune une forte incertitude, il est préférable de ne pas utiliser les formules précédentes pour obtenir une incertitude résultante réaliste et "exploitable".

  • un bilan carbone avec 10 postes d’émission ayant chacun une incertitude 30% donnerait une incertitude globale sur le Bilan carbone de 20%
  • un bilan carbone avec 1 000 postes d’émission ayant chacun une incertitude de 30% donnerait une incertitude globale sur le Bilan carbone de 1%

Dans l'exemple suivant, fourni par l'ABC dans son guide méthodologique du Bilan Carbone, l'incertitude globale sur bilan carbone de l'entreprise serait uniquement de 12% alors même que l'incertitude associée aux principaux postes d'émissions (déplacement et Intrants) est au-dessus de 20%.

Il est donc très important de toujours avoir du recul sur les données d'incertitudes calculées lors des analyses, et de toujours essayer d'obtenir une incertitude faible grâce à la baisse de l'incertitude sur les données sources plutôt qu'uniquement à partir du volume de données. C'est-à-dire des données d'activités plus précises et des facteurs d'émissions plus précis également.


Comment Traace intègre le calcul d'incertitude ?

La plateforme bilan carbone de Traace intègre nativement la considération de l'incertitude sur les facteurs d'émissions, les données d'activités et évidemment dans les résultats finaux d'émissions carbone. Nos clients peuvent librement et facilement renseigner les niveaux d'incertitudes qu'ils souhaitent sur les données d'origine ainsi que sur les facteurs d'émissions propres qu'ils utiliseraient. De plus nous maintenons à jours une importante base de facteurs d'émissions dont l'incertitude est renseignée automatiquement.

Les résultats d'analyse d'émissions sur nos dashboards affichent systématiquement les niveaux d'incertitude totaux, et de manière granulaire par catégorie et poste d'émission.

Notre philosophie de comptabilité carbone pour limiter l'incertitude

Comme nous l’avons vu, l’incertitude sur le calcul de l’empreinte carbone se situe à deux niveaux, sur lesquels il est possible d’agir : Les données d’activité récoltées et le choix des facteurs d’émissions.

Chez Traace, nous avons compris l’importance de se fonder sur des données d’activités claires et précises, mais également sur des facteurs d’émissions fiables, qui varient le moins possible selon les conditions, quitte à faire évoluer régulièrement les données d’activités pour les rendre toujours plus précis selon les situations et contextes de votre entreprise.

C'est la raison pour laquelle nous nous efforçons toujours chez Traace d'utiliser des facteurs d'émissions physiques d'une part, et d'accompagner nos clients dans une collecte de données d'activités précises et exhaustives. C'est le prix pour obtenir un bilan carbone de qualité et surtout exploitable comme point de départ de sa stratégie de décarbonation. Les équipes Traace se chargent également de mettre à jour les facteurs d’émissions des bases de données disponibles dans la plateforme afin que les bilans carbone de nos clients soient toujours le plus à jour possible.

Un module de collecte de données pensé pour faciliter cette étape et limiter les incertitudes

La collecte des données (recueille des données d'activités et des facteurs d'émissions correspondants) est la phase la plus chronophage de la démarche d'établissement d'un bilan GES. Si les méthodologies recommandent d'équilibrer les efforts de collecte par rapport à ses objectifs, elles précisent également que les données à forte incertitude (moyennes statistiques par exemple) sont certes plus faciles à trouver mais leur utilisation n'est pas recommandée.

Chez Traace, afin de permettre à nos clients de ne pas avoir à faire de compromis entre qualité et quantité, et de collecter un maximum de données précises, nous avons développé un module de collecte de données ultra-performant permettant de rythmer les collectes à partir de campagnes composées de questionnaires 100% paramétrables.

Notre module permet donc de solliciter simplement les parties prenantes pertinentes, de récolter de la donnée précise, de limiter les sources d'erreurs très fréquentes sur Excel et de piloter l'avancement de ses collectes de manière collaborative afin de tenir ses objectifs de mesure et d'analyse de son empreinte carbone.

Pour en savoir plus sur comment Traace peut vous aider à réaliser vos collectes de données d'impact climat, contactez-nous !

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Sources :

  • IPCC - Good Practice Guidance and Uncertainty Management in National Greenhouse Gas Inventories - https://www.ipcc-nggip.iges.or.jp/public/gp/english/
  • GHG - Quantitative Inventory Uncertainty Guidance
  • Bilan Carbone® V8 : Guide méthodologique (Annexes) - https://abc-transitionbascarbone.fr/ressource/bilan-carbone-v8-guide-methodologique-annexes

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