Le secteur énergétique, qui émet de manière directe près d’un quart des gaz à effet de serre en Union Européenne (WEF) et plus de trois quart des émissions indirectes (EEA), est le premier secteur émetteur. Ce secteur regroupe les activités de production, transformation et de distribution d’énergie.
L’ensemble des activités économiques dépendent de l’énergie, et de fait, c’est grâce à l’accès à une énergie abondante et à moindre coût que nous pouvons facilement nous déplacer, nous chauffer, produire toutes sortes de biens.
Historiquement, l’augmentation mondiale de la consommation d’énergie a été directement liée à l’augmentation des gaz à effet de serre émis : depuis la deuxième révolution industrielle, la croissance des activités s’est appuyée sur une consommation croissante d’énergie, très majoritairement d’origine fossile.
Alors que le secteur de l’énergie est absolument indispensable au fonctionnement de la société, quels sont les leviers de décarbonation de ce secteur qui est la première cause directe des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique ?
Overview du secteur
Le secteur de l’énergie permet de convertir des sources d’énergie “primaires”, disponibles dans la nature (pétrole, vent, gisement d’uranium) en énergie “finale”, prête à être consommée (essence, électricité), et à la transporter pour qu’elle puisse être distribuée jusqu’au point de consommation (pompe à essence, prise électrique).
À partir de la deuxième révolution industrielle, la consommation d’énergie fossile, de charbon, de pétrole et de gaz, a crû quasiment sans interruption, ce qui a permis d’une part l’avènement de la société moderne, mais d’autre part a relâché dans l’atmosphère une quantité de gaz à effet de serre sans précédent.
On peut catégoriser l’énergie selon les sources d’énergie utilisées :
- combustibles fossiles comme le pétrole, le charbon, le gaz naturel
- combustible fissile pour le nucléaire
- sources renouvelables comme l’énergie solaire ou éolienne.
A cet égard, si la consommation d’énergie a été multipliée par 9,5 depuis un siècle, c’est très majoritairement dû à la consommation de combustibles fossiles. Ceux-ci représentent aujourd’hui encore plus de 70% du mix énergétique en UE. L’essor récent des énergies renouvelables ne s’est pas substituée à la consommation de combustibles fossiles, mais s’est au contraire ajoutée à une consommation d’énergie toujours grandissante.
Les sources principales d’émissions
En prenant en compte l’ensemble des émissions liées à l’énergie, c’est-à-dire les émissions directes lors de la production d’énergie, mais également les émissions pour d’autres usages (transport, industrie), les émissions associées à l’énergie représentent 73% des émissions totales mondiales, avec 15% des émissions totales mondiales liées au transport, 13% à l’industrie et à la construction, 13% à la production d’électricité et de chaleur.
Concernant la production d’électricité et de chaleur, les émissions associées avec la production de cette énergie finale sont très dépendantes du mix électrique : une centrale à charbon produit une énergie beaucoup plus carbonée qu’une centrale à gaz, qui reste elle-même bien plus carbonée qu’une centrale nucléaire ou que de l’électricité produite grâce à des sources renouvelables.
Ainsi, comme le montre le graphique ci-dessous, si en 2021, le charbon représentait seulement 17% de la production d'électricité et de chaleur dans l’UE, il contribuait aux émissions de GES à hauteur de 50%
La décarbonation du secteur de l’énergie
L’Union européenne s’est fixée des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, souhaitant même atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Depuis 1990, les émissions liées au secteur de l’énergie ont effectivement baissé de 657 MtCO2e (soit -40%), notamment grâce à l’évolution du mix énergétique (WEF).
Pour parvenir à tenir ses objectifs, l’Union Européenne devra actionner tous les leviers qu’elle a à sa disposition.
Agir sur la demande énergétique
Nous ne le répéterons jamais assez, “l’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas”. Le meilleur moyen de réduire les émissions liées à l’énergie est de réduire la consommation d’énergie. Pour cela, différents leviers sont actionnables :
La Sobriété
La réduction de la consommation d’énergie finale sous toutes ses formes est le premier levier direct de réduction des émissions. Les efforts sont à mener tant du côté de la consommation des ménages que de celle des entreprises.
Ce sujet est devenu d’autant plus prégnant depuis 2021 que la forte demande énergétique post Covid puis le conflit russo-ukrainien ont créé de fortes tensions sur l’approvisionnement mondial en énergie. Cette situation a amené l’Union européenne à se saisir du sujet et à chercher les meilleures solutions permettant de réduire la consommation d’énergie au sein du vieux continent.
L’Efficacité énergétique
L’’efficacité vise à obtenir les mêmes performances à moindre consommation d’énergie, grâce à des améliorations techniques et technologiques ou un circuit de distribution optimisé permettant de réduire les pertes énergétiques.
L'électrification des usages
En remplaçant les énergies issues de combustibles par de l’électricité pour les différents usages, il est possible de réduire drastiquement les émissions associées à la consommation d’énergie (électrification des transports, des procédés industriels).
L’utilisation de nouvelles sources d’énergies
Dans la même veine, une autre des solutions est de faire appel à de nouvelles sources d’énergies moins émettrices de CO2 et qui permettent de générer la même énergie finale. C’est le cas par exemple de la géothermie pour la production de chaleur, ou de l’hydrogène.
Faire évoluer la production d’énergie
Depuis l’ère industrielle, nos sociétés se sont développées en s’appuyant principalement sur la production d’énergie liée à la consommation d’énergies fossiles. Ces sources d’énergies ont de nombreux inconvénients, elles ne sont pas renouvelables et surtout, elles sont hautement émettrices de gaz à effet de serre.
Pour faire face à nos besoins énergétiques, nous allons donc devoir à court terme faire évoluer nos modes de production d’énergie.
Sortir de la production d’énergie fossiles
Sortir de la production d’énergies fossiles implique deux choses :
- Investir massivement dans la production d’énergie décarbonée
- Ne pas investir dans de nouveaux projets d’énergie fossile.
L’idée de fermer progressivement les installations actuelles d’extraction de combustibles fossiles, et ce avant même leur date de fin d’exploitation, est également régulièrement abordée.
C’est un sujet qui reste d’actualité alors que plusieurs sociétés gazières et pétrolières annoncent encore l’exploitation future de “bombes climatiques” ou “bombes carbone”, ces gisements dont l’extraction d’énergies fossiles générerait plus d’une gigatonne de CO2 chacun.
Développer des nouvelles énergies
Tous les usages ne peuvent pas être électrifiés. Il faut donc trouver des solutions alternatives aux énergies produites à partir de combustibles fossiles, hautement pourvoyeurs d’émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce contexte, une solution est de développer la production de combustibles issus de la biomasse (biofuels, biogaz), qui complètent la production d’électricité non pilotable.
Réduire les émissions sur les lieux de production
Selon la Banque Mondiale, environ 150 milliards de mètres cubes de gaz naturel sont détruits chaque année via le flaring, ou “torchage” réalisé dans le processus d’extraction des énergies fossiles.
Ce procédé détruit non seulement une source précieuse d’énergie mais dégage énormément de CO2 (275 Mt en 2018, soit 0,85% des émissions mondiales) ainsi que du méthane, qui a un impact 28 fois plus élevé que le CO2 en matière de réchauffement climatique. A cela s’ajoute une forte pollution de l’air près des lieux de torchage ainsi qu’une pollution des sols et ressources en eau à proximité.
Il existe différentes méthodes permettant de réduire l’impact causé par le flaring. Cela passe par une réduction de la production de gaz associée à l’extraction de combustibles fossiles, sa réinjection ou son stockage dans les sols. Ce gaz peut également être stocké sous forme liquide pour être commercialisé ou utilisé à proximité du lieu de production pour produire de l’énergie.
Décarboner les énergies finales
La troisième option consiste à décarboner les énergies finales. Elle nécessite de repenser nos modèles de production ET de consommation énergétique et d’investir massivement dans ces nouveaux procédés.
Décarboner la production d’électricité
L’électrification des usages n’est pas la panacée. Le niveau d’émissions dépendra de la source de production de l’électricité.
Pour que le tout électrique soit viable, il faudra produire de l’électricité issue de sources décarbonées et donc développer la production de renouvelable, de biomasse…
Le nucléaire, même si son utilisation fait toujours débat, est également une source d’énergie décarbonée à laquelle de nombreux pays font appel, la France en tête.
Transitionner vers un approvisionnement décarboné pour la production de chaleur
La production de chaleur pour les secteurs tertiaires et résidentiels représente en France près d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre. La moitié d’entre elles provient encore des énergies fossiles. C’est donc un axe majeur de développement pour réduire nos émissions de GES liées au secteur énergétique.
Pour réduire la part des émissions liées à la production de chaleur, plusieurs solutions s’offrent à nous :
- Orienter la production vers les nouvelles énergies (géothermie, hydrogène) dont les désormais fameuses pompes à chaleur
- Privilégier un approvisionnement via de l’électricité décarbonée
- Utiliser de la biomasse d’origine contrôlée
Coordonner les efforts pour maximiser l’efficacité énergétique et assurer la résilience
Un exemple en ce sens est le développement de réseaux de chaleur. Il s'agit de récupérer la chaleur produite par certains sites industriels, la chaleur fatale, pour l’acheminer puis l’exploiter depuis les zones de production jusqu’au consommateurs finaux.
Ces réseaux peuvent également être utilisés pour de nombreuses autres sources de chaleur : géothermie, solaire…
En parallèle du développement de réseaux de chaleur, des infrastructures permettant le stockage de la chaleur pourront être mises en place. Elles permettront de limiter la dépendance aux énergies pilotables fossiles.
Des investissements massifs en R&D
Selon une étude de Nathaniel Bullard pour Bloomberg, les investissements en R&D des Etats membres de l’IEA (Agence Internationale de l'Énergie) sur la production énergétique ont énormément évolué au cours des dernières années, allant dans le sens des besoins de décarbonation du secteur. Les pays membres de l’IEA dépensent aujourd’hui en R&D les plus gros budgets jamais dépensés dépensés dans le domaine de l’énergie depuis les 50 dernières années.
Si les dépenses de R&D sur le nucléaire et les énergies fossiles ont atteint un pic dans les années 80, c'est aujourd'hui les dépenses en matière d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique qui captent de plus en plus de financements.
Les dépenses en recherche et développement concernant l’efficacité énergétique sont passées de 2 milliards de dollars au début des années 2000 à 6 milliards en 2021. C’est aujourd’hui le principal bénéficiaire des dépenses en R&D des pays membres de l’IEA.
Cette évolution montre l’importance de la question énergétique dans le contexte actuel de changement climatique qui nécessite une décarbonation à grande vitesse de ce secteur hautement émetteur de gaz à effet de serre. Une course dans laquelle se sont lancés Etats comme entreprises.
Quelques exemples de bonnes pratiques
ENGIE : décarboner le mix de production électrique
Engie a déployé une stratégie visant à atteindre le “Net Zero” en 2045, qui porte sur les scopes 1, 2 et 3 de ses émissions. Cette stratégie se veut “alignée avec la vision et la stratégie du groupe”. Leur objectif est de réduire l’intégralité de leurs émissions de 90% entre 2017 et 2045 pour ensuite neutraliser les 10% restants.
Sur le scope 1, ENGIE annonce cesser la production d’électricité à partir de charbon dès 2027, et multiplier par 2,6 la puissance installée de renouvelable en 2030 par rapport à 2020. Ils comptent également investir dans le stockage et développer l’utilisation du gaz vert.
Souhaitant agir sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, ils ont annoncé mener une politique de sensibilisation auprès de leurs consommateurs mais également accompagner leurs fournisseurs dans leur transition en les aidant à effectuer leurs bilans carbone et à intégrer une politique de décarbonation afin qu’ils soient alignés ou certifiés SBTi.
Ørsted : pivoter le coeur de métier
Ørsted, anciennement un producteur majeur d’énergie fossile (gaz et pétrole) au Danemark, a pivoté pour se retirer progressivement des activités fossiles, dont il s’est finalement complètement défait en 2018, et a subséquemment investi 26 milliards d’euros dans la production d’énergies renouvelables pour devenir aujourd’hui le leader mondial de l’éolien offshore. (Ørsted)
Ce changement complet de modèle de production s’est fait en moins de 15 ans. Alors qu’en 2009, 85% de leur production s’appuyait sur les énergies fossiles, à ce jour, c’est 98% de leurs revenus qui proviennent de la production d’énergies renouvelables.
Son objectif est d’atteindre la neutralité carbone sur les scopes 1 et 2 d’ici 2025 puis atteindre cette neutralité en 2040 pour leur scope 3.
Sources :
- “Bombes carbone : ces projets fossiles qui condamnent les efforts pour le climat”, Léa Sanchez, Raphaëlle Aubert, Thomas Steffen, Elsa Delmas, Maxime Vaudano et Maxime Ferrer, Le Monde, 31/10/2023
- “Orsted, récit d’une transition écologique à marche forcée d’un énergéticien danois”, Anne-François Hivert, Le Monde, 22/10/2021
- “Could our green transformation inspire yours?”, Orsted
- “Tout ce qu’il faut savoir sur notre feuille de route Net Zéro”, ENGIE
- “Décarboner la production de chaleur”, CEA, 22/04/2022
- “Infographie - Comment l'électricité de l'UE est-elle produite et vendue?”, Conseil européen
- “EEA greenhouse gases”, European Environment Agency
- “Global Gas Flaring Tracker Report”, La Banque Mondiale, 29/03/2023
- “Gas Flaring”, IEA
- “Nuclear Is Out, Hydrogen Is In: Where Countries Put Energy R&D Money”, Nathaniel Bullard, Bloomberg, 09/11/2023