Comment se préparer à l’audit de la CSRD ?

Comment se préparer à l’audit de la CSRD ?

La directive CSRD marque une révolution dans le reporting de durabilité, élargissant considérablement les exigences des entreprises. Entre double matérialité, plans de transition et taxonomie numérique, ce premier exercice soulève autant de questions qu’il apporte de nouvelles opportunités. Comment s’y préparer efficacement ? Quels points clés surveiller pour garantir un audit réussi ? À travers l’analyse d’experts de l'audit et les résultats d’une étude menée auprès d’entreprises, découvrez les enjeux, les défis et les bonnes pratiques pour aborder cette nouvelle ère du reporting ESG.

Matthieu Duault

Matthieu Duault

Climate Copywriter

Mise à jour :
3/1/2025
Publication :
3/1/2025

A l’occasion du salon Produrable, nous avons mené une table ronde avec de futurs auditeurs de la CSRD. Avocats, commissaires aux comptes, tous ont pu nous partager leur vision de la CSRD, exposer leurs points de vigilance et décrire la manière dont les audits de ce nouvel exercice devraient se dérouler.

L’audit de la CSRD est au cœur des préoccupations des entreprises, d’autant plus sur ce premier exercice qui laisse de nombreuses entreprises perplexes quant aux attendus de ce nouveau format européen de rapport de durabilité. 

Selon une étude menée par Tennaxia en juin 2024 auprès de 208 entreprises prochainement soumises à la CSRD, ⅓ d’entre elles ont encore des doutes sur les modalités d’audit du rapport CSRD, ne saisissant pas pleinement ce qui allait être audité et ce qui était attendu des auditeurs. A cette date, une bonne moitié des répondants ont indiqué qu’ils travailleraient sur ce sujet avec le Commissaire aux comptes qui audite déjà leurs rapports financiers. Cela peut facilement s’expliquer et s’apparente à une solution de simplicité. Ces auditeurs ayant déjà une bonne vision de l’entreprise, de ses activités et de sa structure.

Mais-est-ce le point de vue des auditeurs eux-mêmes ? Quels sont selon eux les meilleurs process à adopter pour mener à bien ce nouvel exercice ? Et quels sont les principaux points de vigilance à prendre en compte lors de l’audit CSRD ?

Qui peut auditer les rapports CSRD ?

En France, les rapports CSRD doivent être audités par des Commissaires au Compte ou bien des Organismes Tiers Indépendants (OTI). 

Pour pouvoir acquérir le statut d’auditeur de durabilité, ces professionnels de l’audit devront obligatoirement suivre une formation de 90h dédiée aux enjeux de durabilité et aux critères ESG, dispensée par un organisme de formation dûment homologué.

C’est la Haute Autorité de l’Audit (H2A) qui sera chargée du contrôle des missions de ces professionnels et des potentielles sanctions en cas de manquement. Une liste des auditeurs de durabilité accrédités est disponible sur le site de la H2A.

De la DPEF à la CSRD, un changement de dimension

Le format français historique de rapport extra-financier s’est considérablement enrichi avec les exigences portées par la CSRD.

Le nombre de sujets traités et de points de données est non seulement beaucoup plus vaste mais la CSRD apporte également de nouveaux éléments qui enrichissent l’analyse à mener dans le cadre de la production de son rapport extra-financier :

  • L’analyse de double matérialité, comprenant l’évaluation des IRO matériels (Impacts, Risques et Opportunités) pour chaque ESRS (European Sustainability Reporting Standard),
  • La prise en compte des parties prenantes de l’entreprise et de leurs attentes,
  • La prise en compte des informations de la taxonomie verte de l’Union européenne et leur lien avec les informations exigées par les ESRS,
  • La mise en place d’un système de balisage permettant une lecture informatisée des données (format iXBRL),
  • La détermination d’une marge d’erreur acceptable par indicateur traité.

Ces nouveaux éléments modifient en profondeur le travail de l’auditeur. Dans le cadre de la DPEF, l’audit délivrait un avis motivé sur la conformité et la sincérité des informations ainsi qu’une attestation de présence du rapport par le commissaire aux comptes. Pour la CSRD, l’auditeur devra analyser chacun des process ayant mené à la constitution de ce rapport et au bon choix des données traitées par l’entreprise.

Autre changement majeur, si la DPEF s’attardait principalement sur les informations historiques de l’entreprise, la CSRD s’oriente également sur les informations prospectives. La mise en place de plans de transition en est un exemple éloquent. Auditer ces plans et attester de leur crédibilité est donc un exercice auquel n’ont pas été habitués les auditeurs.

Enfin, la DPEF s’arrêtait aux bornes des comptes consolidés du groupe là où la CSRD intègre les parties prenantes affectées par les impacts de l’entreprise. Le périmètre d’analyse est donc considérablement élargi et il s’agira pour l’entreprise mais également l’auditeur de déterminer quel maillon de la chaîne de valeur (fournisseurs, sous-traitants, clients, utilisateurs…) est pertinent à prendre en compte dans le rapport de durabilité.

Sur les premiers exercices, l’auditeur risque donc de longuement s’attarder sur les process mis en place par l’entreprise pour produire son rapport CSRD plus que sur la donnée collectée et les informations renseignées.

Quel est le périmètre d’étude de l’entreprise ? Comment a-t-elle mené son analyse de double matérialité pour déterminer les ESRS pertinents pour son activité ? Sont-ils cohérents avec ceux d’entreprises similaires ? Comment ont été déterminés les enjeux clés par activité et sites de l’entreprise ? Les IRO ont-ils été correctement analysés et comment ?

Les auditeurs le reconnaissent eux-mêmes, compte tenu de la complexité de la CSRD et des différents ESRS qui composent ce standard de rapport de durabilité, leur posture devrait être, sur le premier exercice, celle d’un auditeur accompagnant avec un niveau d’exigence plus réduit et une vision progressiste du rapport de durabilité.

La directive CSRD précise par ailleurs que les informations renseignées dans les rapports seront contrôlées sur la base d’une mission d’assurance limitée jusqu’en 2028, date à laquelle la mission d’audit devrait passer à un niveau d’assurance raisonnable.

Un changement culturel radical sur la documentation attendue

La CSRD va nécessiter de justifier chaque information renseignée dans le rapport de durabilité. Ce point essentiel doit faciliter le contrôle par les auditeurs et leur permettre de s’assurer de la transparence et de la sincérité des entreprises. 

Pour les entreprises autrefois soumises à la DPEF, le processus visant à documenter chaque information avec des éléments de preuve est déjà bien établi. Mais la CSRD va concerner à terme un nombre beaucoup plus important d’entreprises qui devront intégrer cette notion de documentation probante.

Cette méthodologie s’applique aux différents points de données mais également, point nouveau, à l’analyse de double matérialité. La détermination des enjeux matériels ne pourra uniquement se faire à dire d’expert, l’inclusion et ou l’exclusion de points de données devra être justifiée et documentée. 

La CSRD doit en effet rendre plus observable et objectif le reporting ESG. Il est donc nécessaire d’enrichir son rapport d’analyses scientifiques, de données ou d’expliciter concrètement les hypothèses ayant mené à prendre certaines décisions. Ces documents doivent permettre d’expliquer les méthodes qui ont été appliquées, les démarches qui ont été suivies et, in fine, de justifier les potentiels écarts observés.

L’auditeur devra en effet s’assurer que le reporting atteint ses objectifs, c’est-à-dire transmettre de l’information claire, sincère, objective, exploitable et comparable. Le rapport CSRD doit donc être un rapport « sec », il n’est pas là pour raconter de belles histoires, un des biais que l’on pouvait retrouver dans les rapports DPEF. Les narratifs devront être très descriptifs, factuels, fondés sur des données observables et auditables, qui mènent à une action particulière et sur un scope précis. C’est un élément essentiel pour assurer la comparabilité des différents reportings. Point demandé par la CSRD et qui ne sera pas toléré par l’auditeur : communiquer sur des sujets non matériels, le risque étant de diluer l’information matérielle pour le futur lecteur.

Cette comparabilité de la donnée est un élément essentiel, comparabilité d’un exercice à l’autre et d’une entreprise à l’autre. L’homogénéité de l’information est un objectif clé de cette législation dont l'intérêt est, rappelons-le, de renforcer la transparence des entreprises en matière d’informations ESG. Les auditeurs devront donc s’assurer de la comparabilité des informations transmises. Cependant, la taxonomie ixbrl de l’EFRAG devant permettre de baliser les points de données et ainsi faciliter leur harmonisation, leur lisibilité et leur traitement numérique n’est pas encore finalisée. Le processus sera donc probablement itératif et s’affinera au fur et à mesure des années. 

Enfin, au-delà du changement radical sur la documentation, il y aura probablement un changement culturel important au niveau de l’organisation de l’entreprise. Compte tenu des attendus de ce rapport, notamment sur la dimension financière des IRO et du plan de transition, on assiste à une mutualisation du leadership entre la direction ESG et la direction financière, désormais beaucoup plus présente dans les prises de décisions. Ce changement d’organisation peut néanmoins faciliter le travail des auditeurs, les directeurs financiers ayant déjà l’habitude, dans le cadre de l’audit financier, d’apporter des éléments de preuve pour chaque donnée renseignée et décision prise.

L’audit du plan de transition : un nouveau défi

Nous en parlions précédemment, l’une des différences majeures entre la CSRD et la DPEF est le passage d’une analyse exclusivement fondée sur des informations historiques à une analyse également fondée sur des informations prospectives.

Le cas le plus éloquent est la mise en place du plan de transition demandé aux entreprises dans l’ESRS E1, dédié au changement climatique.

Selon l’étude menée par Tennaxia, cet ESRS est considéré comme matériel par 98% des entreprises interrogées. Un résultat qui est relativement peu étonnant considérant deux choses :

  • Il est difficilement justifiable de nier tout impact de ses activités sur le climat. Une activité économique génère forcément des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble des 3 scopes.
  • Cet ESRS bénéficie d’un traitement spécifique. Il est le seul pour lequel l’entreprise devra dûment justifier sa décision si elle ne le considère pas comme matériel (et nous lui souhaitons bon courage dans ce cas).

Après la mesure de leur empreinte carbone et leur analyse d’IRO, les entreprises devront donc transmettre toutes les informations concernant leur plan de transition. Cela concerne les objectifs fixés, le calendrier d’application, les actions mises en œuvre et le budget associé. Or, selon l’étude menée par Tennaxia, à date, 48% des entreprises indiquaient avoir encore des doutes sur la mise en œuvre des plans de transition climatiques. Une fois encore, cette donnée semble logique compte tenu du fait que l’exercice est nouveau pour de nombreuses entreprises désormais concernées, à court ou moyen terme, par la CSRD, et qu’il est encadré par une méthodologie stricte.

Ces inquiétudes semblent se matérialiser sur 2 principaux points qui seront également ceux scrutés par les auditeurs :

  • La visualisation et l’évaluation d’impact du plan d’action en termes d’émissions de GES et en termes d’investissements financiers. Il s’agit de définir un plan d’action, de réaliser une estimation d’impact et de calculer les coûts associés en termes de CapEx, d’OpEx, voire d’économies liées à cette transition.
  • La comparabilité des données exercice après exercice. La mesure d’un bilan carbone en année N est relativement simple, mais une entreprise n’est pas un élément figé, elle change (changement d’ERP, ouverture ou fermeture d’usine, changement de facteur d’émissions sur certaines valeurs…). A cela s’ajoute sa complexité structurelle : différents sites, différents interlocuteurs… Tout ceci fait que la traçabilité de l’évolution d’un bilan carbone devient un véritable exercice d’équilibriste dès l’année N+1. 

L’audit du plan de transition rend de facto caduque l’usage du traditionnel fichier Excel encore souvent utilisé dans le cadre de la mesure d’un bilan carbone. L’utilisation d’un outil dédié permettant la modélisation et le traçage de la donnée va devenir un must have. 

Les auditeurs vont scruter ces plans d’actions et, pour s’assurer de leur sincérité, vont devoir avoir une vision claire des objectifs associés, des estimations financières et demanderont nécessairement quelles sont les méthodes de calcul appliquées, les hypothèses posées, les extrapolations faites. Ils doivent pouvoir remonter toute la donnée depuis le graphique d’impact qui leur sera présenté. S’appuyer sur un outil deviendra donc essentiel mais il faudra également s’assurer que celui-ci fasse preuve de la plus grande transparence possible.

Nombreux sont ceux également tentés de s’appuyer sur les outils d’intelligence artificielle. Il est essentiel dans ce cas de l'utiliser de manière précautionneuse. Dans de nombreux cas, l’IA est une boîte noire qui ne permet pas de tracer correctement la donnée source et la manière dont elle a été traitée pour construire ce plan de transition.

Récapitulatif des principaux points de vigilance

Pour récapituler, les principaux points de vigilance des entreprises pour s’assurer que leur audit se déroule sans accroc sont les suivants :

  • Fournir des éléments probants pour chaque information renseignée
  • Faire preuve de la transparence la plus totale
  • Rester objectif dans ses analyses
  • Renseigner les méthodologies appliquées, les hypothèses posées et les méthodes de calcul utilisées
  • S’assurer de la comparabilité des données
  • S’équiper d’outils permettant de tracer la donnée

 

Justifier, prouver, tracer.
Ces 3 verbes doivent constituer votre leitmotiv lors de la constitution de votre rapport de durabilité.

 

La complexité des ESRS pouvant représenter un frein, certains organismes ont entrepris un travail de simplification permettant aux entreprises et aux auditeurs d’identifier les principaux attendus du rapport CSRD. Parmi ces documents nous trouvons :

Enfin, même si les auditeurs ont pu bénéficier d’une formation obligatoire avant d’être autorisés à auditer les rapports CSRD, il s’agit également de leur premier exercice de contrôle de ces rapports qui promettent d’être particulièrement denses et dont le processus d’édition est strictement cadré. Il est donc probable que leur niveau d’exigence ne sera pas à son maximum sur la première année. Néanmoins, n’hésitez pas à échanger avec eux en amont pour valider vos méthodologies, que ce soit pour l’analyse de double-matérialité, la validation des IRO etc… C’est le meilleur moyen de s’assurer que vous prenez la bonne voie et de ne pas risquer de devoir réitérer totalement l’exercice.

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