Dans le cadre du pacte vert européen, le Parlement européen a mis en place une série de réglementations à destination des entreprises financières et non financières visant à réorienter les investissements privés vers les activités économiques dites durables.
La taxonomie verte européenne fait partie de cette liste de réglementation ayant pour objectif la neutralité carbone de l’Union européenne d’ici 2050 et la réduction des émissions de GES de 55% d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990.
Concrètement, la taxonomie verte est une méthode de classification des activités économiques selon une méthode scientifique. Elle doit à terme permettre d’identifier les investissements dits durables sur le plan environnemental et donc contribuer à la définition d'un investissement durable.
Elle s’accompagne d’autres réglementations parmi lesquelles nous retrouvons la NFRD, remplacée à partir du 1er janvier 2024 par la CSRD, pour les reportings extra-financiers des entreprises, et la SFDR qui s’adresse aux acteurs financiers afin d’apporter davantage de transparence aux mécanismes d’investissement.
Le règlement taxonomie, quant à lui, est transverse dans le sens où il s’adresse à l’ensemble des acteurs et vise à développer un langage commun et harmoniser les informations sur la durabilité des activités des entreprises de l’UE.
Les objectifs de la taxonomie verte
Le déploiement de la taxonomie a plusieurs objectifs. Comme nous l’avons indiqué précédemment, elle s’inscrit dans l’objectif de neutralité climatique des pays européens à l’horizon 2050.
Pour cela, l’UE compte notamment s’appuyer sur les investissements privés en sus des fonds européens mobilisés dans cette transition écologique.
C’est dans ce cadre qu’intervient la taxonomie verte. Elle doit créer un cadre favorable aux investissements verts en permettant, au moyen d’une grille de lecture commune, d’identifier les activités qui contribuent au développement d'une économie durable.
Le premier objectif est donc d’harmoniser l’ensemble des critères et informations qui permettront de définir une activité durable afin que les entreprises, investisseurs et institutions financières aient une vision claire et partagée de ce qui signifie le terme durable.
Le second objectif, le plus important, est de permettre, grâce à cette nomenclature, de réorienter les flux financiers vers ces activités durables et ainsi de financer la transition écologique de l’économie européenne.
Enfin, le dernier objectif est évidemment d’empêcher tout greenwashing. En définissant concrètement ce qu’est une activité durable, le Parlement européen fixe un cadre strict à ce que l’on peut considérer comme durable ou non, empêchant de facto toute dérive ou abus de la part des entreprises souhaitant se forger une meilleure réputation à moindres frais auprès des investisseurs, des institutions et/ou du grand public.
Comment fonctionne la taxonomie européenne ?
La taxonomie verte européenne est une nomenclature qui doit permettre, en fonction de l’activité économique d’une entreprise, de déterminer si celle-ci est “verte”. Pour cela, l’UE a défini 6 objectifs environnementaux auxquels ces activités doivent répondre.
Toutes les activités ne sont pas incluses dans le règlement taxonomie. Certaines n’ont en effet aucun impact, voire un impact négatif, sur les objectifs climatiques de la TVE et n’ont donc pas vocation à intégrer ce référentiel. D’autres sont encore en cours d’examen et intégreront la taxonomie au fur et à mesure.
Une analyse d’éligibilité est obligatoire depuis 2022 pour les entreprises soumises au reporting extra-financier, soit 50 000 d’entre elles dès la mise en application de la directive européenne CSRD.
Il s’agit alors de mettre en parallèle les activités incluses dans la taxonomie avec l’activité de l’entreprise ainsi que de comptabiliser les dépenses d’exploitation (OpeX) et investissements (CapEx) dédiés au développement de cette activité dans la part des dépenses globales de l’organisation.
Quels sont les objectifs environnementaux de la taxonomie européenne ?
Pour qu’une activité soit considérée comme durable au sens de la taxonomie européenne, elle doit contribuer de manière substantielle à moins l’un de ces 6 objectifs environnementaux :
- l’atténuation du changement climatique
- l'adaptation au changement climatique
- l'utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et maritimes,
- la transition vers une économie circulaire
- la prévention et le contrôle de la pollution
- la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
Ces objectifs visent donc une grande variété de sujets comme la transition énergétique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la protection du vivant, le traitement des déchets...
Pour qu’une activité soit éligible, elle doit également respecter 2 autres conditions.
- Selon le principe du Do No Significant Harm (DNSH), elle ne doit pas porter atteinte à l’un des objectifs de la taxonomie.
- Enfin, elle doit respecter des standards minimaux de protection des droits sociaux et humains (Droits de l’Homme, conventions de l’OIT…).
Les 3 niveaux d’activité
Ce classement s’accompagne d’une catégorisation supplémentaire des activités selon leur niveau d’implication dans l’atteinte de ces objectifs climatiques. Nous y trouverons 3 niveaux :
- Les entreprises qui contribuent de manière concrète et significative aux objectifs de la taxonomie et donc à la transition environnementale (parc éolien, société de recyclage…)
- Les activités habilitantes qui permettent à d’autres activités de contribuer aux objectifs environnementaux de la taxonomie (bornes de rechargement des véhicules électriques…)
- Les activités transitoires pour lesquelles il n’existe pas à l’heure actuelle d'alternatives bas carbone mais qui s’inscrivent tout de même dans une trajectoire de réduction de l’impact environnemental. C’est notamment le cas, depuis peu et sous conditions, pour les activités liées à la production d’énergie via le gaz et le nucléaire.
Qui est soumis à la taxonomie verte européenne ?
Comme nous le disions en introduction de cet article, le champ d' application du règlement taxonomie est vaste dans le sens où celui-ci s’adresse à l’ensemble des acteurs de l’économie : entreprises non financières, entreprises financières et enfin, Etats et institutions.
Les entreprises non financières
L’ensemble des entreprises soumises aux reporting extra-financier dans le cadre de la CSRD (et auparavant de la NFRD) seront dans l’obligation de suivre une démarche en 3 temps permettant d’acter de la durabilité ou non de leurs activités au sens de la taxonomie européenne.
- Analyse d’éligibilité : les entreprises devront réaliser une analyse d’éligibilité afin de déterminer si leurs activités peuvent être qualifiées de durables selon la liste établie par la taxonomie.
- Analyse d’alignement : elles devront dans un second temps réaliser une analyse d’alignement permettant de s’assurer que leurs activités éligibles répondent aux 3 exigences de la taxonomie (contribution à l’un des objectifs environnementaux, DNSH, respect des droits sociaux et humains).
- Analyse de contribution : enfin, au moyen d’indicateurs financiers (ICP) les entreprises devront déterminer quelle part de leur chiffre d'affaires représente les activités alignées et quelles sont les dépenses d’exploitation (OpEX) et d’investissement (CapEX) dédiées à ces activités.
Ces analyses et données seront intégrées au reporting extra financier que l’entreprise doit publier chaque année dans le cadre de la CSRD. Elles permettront aux investisseurs et parties prenantes d’avoir une idée précise de la part que représentent les activités durables dans l’activité globale de l’entreprise.
Les entreprises financières
Depuis 2021, les acteurs financiers européens sont soumis à la réglementation SFDR (fonds d' investissement, gestionnaires d'actifs, société de conseil en investissement...). L’objectif de cet règlement européen est d’accroître la transparence des investissements financiers. Il contraint les acteurs des marchés financiers et les conseillers financiers à publier des informations quant à la durabilité des produits d’investissement qu’ils gèrent ou dans lesquels ils investissent.
Cette réglementation les contraint à également à appliquer le principe de double-matérialité aux produits financiers en fournissant une analyse de l'impact potentiel des changements climatiques et sociaux sur la rentabilité future des produits.
Dans ce cadre, les produits financiers sont classés en 3 catégories selon leur niveau de durabilité :
- fonds article 6 : sans objectif de durabilité
- fonds article 8 : fonds à objectif de durabilité. Ils intègrent des critères ESG dans leur stratégie d’investissement, sans règle contraignante ou investissent dans des activités encore non classifiées dans la taxonomie mais à vocation de durabilité.
- fonds article 9 : fonds durables. Ils contribuent de manière substantielle aux objectifs environnementaux de la taxonomie.
La taxonomie européenne, visant à réorienter les investissements privés vers les activités durables, renforce ce processus. Pour qu’un investissement soit considéré comme durable (fonds article 9), il doit donc financer à 100% des activités dites durables selon la définition de la taxonomie.
Pour davantage de transparence, les acteurs financiers sont donc également dans l’obligation d’indiquer quelle part du portefeuille d’actifs participe d’investissements durables et quelle est la contribution de ces investissements aux objectifs climatiques définis par cette nomenclature.
Les Etats membres de l’Union européenne
L’UE et ses États membres devront s’appuyer sur la taxonomie afin d’établir des mesures publiques, normes et labels concernant les produits financiers verts et obligations vertes.
Une fois de plus, l’objectif est d’harmoniser la définition de ce qui est durable pour réorienter les investissements et éviter le greenwashing.
Ce travail d’harmonisation a déjà commencé avec la norme européenne sur les obligations vertes (EuGBS) actuellement discutée au sein des institutions européennes. Cette norme a pour objectif de réguler l’appellation d’obligation verte (green bonds). Les émetteurs d’obligations devront donc se plier à une liste d’exigences et s’aligner sur les objectifs fixés par la taxonomie européenne pour pouvoir commercialiser leurs obligations sous le titre “d'obligations vertes”.
Quel est le calendrier d’application de la taxonomie européenne ?
La taxonomie européenne a été mise en place de manière progressive en suivant les différents objectifs constituant le référentiel.
Les modalités de mise en œuvre des deux premiers objectifs liés au changement climatique sont applicables depuis le 1er janvier 2022.
Ils contiennent une première liste des activités considérées comme éligibles ainsi que les critères d’examen techniques (CET) permettant de réaliser l’analyse d’alignement, obligatoire pour les entreprises soumises à la NFRD puis à la CSRD.
Les modalités de mise en application des 4 autres objectifs de la taxonomie sont entrés en vigueur au 1er janvier 2023.
Dès 2022, les entreprises de plus de 500 employés, soumises à la NFRD ont dû réaliser et publier leur analyse d’éligibilité et leurs ICP sur l'exercice 2021, concernant les deux premiers objectifs de la taxonomie. Elles ont publié en 2023 leur analyse d’alignement sur ces deux objectifs.
A partir de 2025, elles devront intégrer les analyses d’éligibilité et d’alignement sur les l’ensemble des objectifs de la taxonomie, concernant l’exercice 2024 et les suivants.
D’abord applicable aux entreprises soumises à la NFRD, cette obligation de reporting va s’étendre à l’ensemble des entreprises nouvellement soumises à la CSRD au fur et à mesure de sa mise en application.
Pour résumer :
2022 : obligation de publication des analyses d’éligibilité et des ICPs sur l’exercice 2021 pour les entreprises européennes de plus de 500 salariés à propos des deux premiers objectifs de la taxonomie.
2023 : obligation de publication des analyses d’éligibilité, d’alignement et des ICPs sur l’exercice 2022 à propos des deux premiers objectifs de la taxonomie.
2024 : obligation de publication des analyses d’éligibilité, d’alignement et des ICPs sur l’exercice 2023 à propos des deux premiers objectifs de la taxonomie.
2025 : obligation de publication des analyses d’éligibilité, d’alignement et des ICPs sur l’exercice 2024 sur l’ensemble des objectifs de la taxonomie.
2026 : obligation de publication des analyses d’éligibilité, d’alignement et des ICPs sur l’exercice 2025 pour les grandes entreprises cochant au moins à deux des critères suivants :
- 40M de CA
- 20M de bilan
- 250 salariés ou plus
2027 : obligation de publication des analyses d’éligibilité, d’alignement et des ICPs sur l’exercice 2026 pour les PME cotées en bourse
2028 : obligation de publication des analyses d’éligibilité, d’alignement et des ICPs sur l’exercice 2027 pour les entreprises non européennes qui génèrent plus de 150 millions d'euros de CA net dans l'Union européenne via une filiale ou une succursale localisée au sein de l’UE.
Les entreprises financières doivent également depuis le 1er janvier 2023 publier les informations concernant la part de leur portefeuille d’actifs alignée avec la taxonomie.
C’est également la date à laquelle la taxonomie a commencé à servir de référentiel d’analyse pour les différents produits financiers et leur classement en article 6, 8 ou 9, raison pour laquelle de nombreux produits financiers se sont vus reclassés d’article 9 à article 8 en fin d’année 2022.
Quel avenir pour la taxonomie européenne ?
La taxonomie est vouée à évoluer et à s’étendre en fonction des évolutions technologiques et de l’intégration de nouvelles activités. Cartographier l’ensemble des activités d’une économie est un travail dantesque qui va prendre plusieurs années mais permettra à terme d’avoir un outil efficace de classification, commun à l’ensemble des pays membres de l’UE.
Le système de classification est par ailleurs souvent débattu. Ce fut notamment le cas lors de l’intégration du nucléaire et du gaz dans le référentiel, certains pays ayant une vision fondamentalement différente du niveau de contribution de ces sources d’énergie à l’atteinte des objectifs climatiques.
La Commission européenne prévoit également une évolution régulière des CET (critères d’examen techniques) permettant de mesurer la contribution d’une activité aux objectifs de la taxonomie. En effet, les progrès technologiques et évolutions économiques auront forcément un impact sur les modes de classification.
Vers une taxonomie brune ?
La Plateforme européenne sur la finance durable, qui conseille la Commission européenne et a notamment travaillé sur les 4 objectifs hors climat de la taxonomie, a soulevé l’idée d'une taxonomie étendue avec une plus grande granularité dans la classification actuelle.
Elle propose notamment la création d’une taxonomie neutre et d’une taxonomie brune.
Ces deux taxonomies permettraient d’identifier les activités qui n’ont aucun impact sur l’environnement ou au contraire ont un impact considéré comme néfaste sur les objectifs environnementaux de la TVE.
La taxonomie brune permettrait de renseigner les investisseurs sur la dimension néfaste pour l’environnement de certaines activités ou de leur trop grande vulnérabilité face aux changements climatiques. L’objectif étant de rediriger les flux de capitaux vers les activités neutres ou vertes.
Enfin, a également été évoquée la possibilité de créer à l’avenir une taxonomie sociale qui classifierait les activités en fonction d’objectifs liés au respect des Droits de l’Homme, à la réduction de la pauvreté ou encore à l’amélioration de l’éducation et de la santé.
Conclusion
Élément central du pacte vert pour l’Europe, la taxonomie verte est un formidable outil au service de la finance verte.
Elle va permettre aux acteurs économiques et institutionnels de l’Union européenne de mobiliser leurs capitaux pour développer les activités durables et ainsi contribuer à l’atteinte des objectifs de neutralité carbone que s’est fixée l’UE au travers de son plan d'action climatique.
Sa mise en application et son élargissement, via la CSRD, à plus de 50 000 entreprises européennes, va permettre de rapidement en voir les effets et au besoin de l’enrichir et l’ajuster au fur et à mesure des années.
Sources :
- “2e année d’application de la réglementation Taxonomie : bilan de l’AMF et zoom sur 2 FAQ de la Commission européenne”, Revue Fiduciaire, 16/05/2023
- “Taxonomie verte européenne : qu’est-ce que c’est ?”, ecoact, 20/04/2023
- “Obligations vertes : l’Union européenne définit des standards pour éviter le greenwashing”, Toute l’Europe, 01/03/2023
- “La plateforme européenne sur la finance durable”, Novethic Essentiel, 15/02/2023
- “Finance durable : bien comprendre la Taxonomie et le règlement SFDR pour exprimer vos préférences”, AMF, 06/10/2022
- “Neutralité carbone : la taxonomie européenne en six questions”, Vie-publique.fr, 06/07/2022
- “Décryptage de la taxonomie européenne [épisode 1]”, Groupe BPCE, 25/02/2022
- “Taxonomie verte : mode d’emploi”, Commission européenne, 13/01/2022
- “Neutralité carbone : la nouvelle taxonomie verte européenne”, gouvernement.fr, 10/01/2022
- “La taxonomie verte européenne”, Banque de France, 11/10/2021
- “Pacte vert : comment l’UE compte mobiliser 1 000 milliards d’euros en 10 ans”, Toute l’Europe, 24/01/2020
- “La Taxonomie européenne : financer une croissance durable”, Mazars
- “European green bond standard”, Commission européenne
- “EU taxonomy navigator”, Commission européenne