Le règlement européen sur la restauration de la nature - Protéger la biodiversité européenne

Le règlement européen sur la restauration de la nature - Protéger la biodiversité européenne

Le Parlement européen a adopté, le 12 juillet 2024, une loi sur la restauration de la nature, un pilier du Green Deal européen. Bien que diminuée après des négociations, cette loi vise à restaurer 20% des écosystèmes européens d’ici 2030, avec un objectif de restauration totale d'ici 2050. Elle cible notamment les habitats dégradés, les pollinisateurs menacés et la biodiversité agricole, tout en intégrant des mesures pour les écosystèmes urbains et forestiers. Cependant, sa mise en œuvre fait face à des défis importants.

Matthieu Duault

Matthieu Duault

Climate Copywriter

Mise à jour :
22/10/2024
Publication :
22/10/2024

Le Parlement européen a voté le 12 juillet 2024 l’adoption de la loi sur la restauration de la Nature. Largement édulcoré aux termes d'âpres négociations entre Etats membres de l’UE, ce texte, qui se veut l’un des nouveaux piliers du Green Deal européen, laisse un goût amer à certains activistes et défenseurs du climat qui considèrent que celui-ci n’est pas la hauteur des enjeux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Il permet néanmoins à l’Union européenne de se fixer un premier cap sur la protection de la biodiversité sur le vieux continent.

La biodiversité en Europe : un constat alarmant

Les écosystèmes européens se sont fortement dégradés au cours des dernières années. On estime aujourd’hui que 80% des habitats naturels de l’Union européenne sont en mauvais état. Les effets sur la faune et la flore sont extrêmement préoccupants. L’Europe a perdu 25% de ses populations d’oiseaux depuis 1980 (60% pour les espèces vivant en milieu agricole) et les populations d’insectes auraient chuté de 70 à 80% dans les zones d’activité humaine.

Etat des habitats naturels au sein de l’Union européenne (Source: Conseil de l’Europe via les données de l’Agence européenne pour l'environnement - Données pour la période 2013-2018, fondées sur les évaluations des habitats couverts par la directive "Habitats" de l'UE)

Ces écosystèmes sont non seulement une condition sine qua non à la préservation de la biodiversité mais ils sont également cruciaux pour atténuer les effets du changement climatique et assurer notre sécurité alimentaire.

Les insectes pollinisateurs, nécessaires à notre agriculture, sont en effet particulièrement menacés. ⅓ des espèces d’abeilles et de papillons est ainsi en déclin sur le territoire européen et 10% sont même en voie d’extinction.

La Banque centrale européenne a par ailleurs relevé que, parmi les sociétés non financières européennes, 72% d’entre elles dépendent de manière critique des services écosystémiques et 75% des prêts aux entreprises dans la zone euro ont été accordés à des entreprises dépendant d’au moins un écosystème. La protection de la nature est donc également un enjeu économique majeur.

Exposition des portefeuilles de prêts des banques de la zone euro aux risques liés à la nature (Source : BCE via EXIOBASE, ENCORE, AnaCredit and ECB calculations)

Note : Le graphique montre la part des prêts ayant un score de dépendance élevé (supérieur à 0,7) pour au moins un service écosystémique. Un prêt est classé comme fortement dépendant lorsque l'entreprise emprunteuse a un score de dépendance directe suffisamment élevé (barre bleue) ou une dépendance suffisamment élevée lorsque les liens possibles avec la chaîne d'approvisionnement sont pris en compte (barre jaune).

Si ce sujet n’est pas pris au sérieux dès aujourd’hui, le réchauffement climatique ne fera qu’amplifier la tendance actuelle et ses conséquences. Au travers de cette réglementation, l’Union européenne a donc souhaité briser cette dynamique et s’est fixé pour objectif d’inverser cette dégradation d’ici 2050.

La genèse du règlement sur la préservation de la nature

Aux origines de l’initiative

L’Union européenne s’était déjà engagée à mettre en place des mesures visant à préserver les écosystèmes et la biodiversité, notamment dans le Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal. Cet accord, adopté à l’occasion de la COP 15 biodiversité de 2022, appelle notamment à la restauration de 30% des écosystèmes dégradés à l’horizon 2030.

L’Union européenne est également Partie de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), un traité international adopté en 1992 à l’occasion du sommet de la Terre de Rio de Janeiro et visant à mettre en place des stratégies de préservation et d’utilisation durable de la biodiversité. Il est entre autres à l’origine du déploiement des zones Natura 2000 au sein de l’UE. Les 196 Parties de ce traité se réunissent tous les 2 ans pour réaliser un état des lieux des actions menées et mettre en place de nouvelles mesures.

Forte du constat réalisé sur l’état de la biodiversité européenne et afin de tenir ses engagements internationaux, l’Union européenne a souhaité faire de la préservation de la nature une priorité et l’un des piliers du Pacte Vert pour l'Europe à l'instar de la CSRD et de la CSDDD qui ont également intégré la biodiversité dans leur champ d'action.

Le règlement européen sur la restauration de la nature s’inscrit tout d’abord dans la “Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030” adoptée en 2021 par le Parlement européen, et en lien avec le paquet “Fit for 55” qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne de 55% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990.

Un parcours législatif houleux

La première version du texte à été proposée le 22 juin 2022 par la Commission européenne. Au début très ambitieux, ce texte a été remanié tout au long du processus législatif face à la fronde de nombreux Etat membres et parlementaires, qui y voyaient une menace pour les secteurs agricole et halieutique.

Le texte, largement amendé, a été adopté par le Parlement européen le 12 juillet 2023 à l’issue d’un vote dont le résultat s’est retrouvé extrêmement serré. Le PPE s’étant notamment fortement opposé à ce projet de loi.

Le règlement a ensuite fait l’objet d’un trilogue entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen. A la suite de nouveaux compromis, les trois institutions sont parvenues à un accord le 9 novembre 2023. Celui-ci intègre différentes dérogations et la possibilité de mettre en pause certaines parties de l’accord, notamment en cas de risque sur la sécurité alimentaire européenne.

Cette version du texte est finalement adoptée par le Parlement européen le 27 février 2024.

Cependant, le texte s’est retrouvé une nouvelle fois bloqué par le Conseil européen, entre autres à cause de la crise agricole qui a secoué l’Europe en début d’année 2024. Pour être adopté par le Conseil, le projet de loi doit obtenir une majorité qualifiée, c’est-à-dire 55% des Etats membres de l’UE, représentant 65% de la population européenne. La Hongrie ayant subitement changé son fusil d’épaule, le règlement n’était plus en mesure de bénéficier de cette majorité. C’est finalement grâce au revirement de l’Autriche que le Conseil européen a validé le 17 juin 2024 le projet de règlement sur la restauration de la nature : 20 pays ont voté pour, 6 contre (Hongrie, Finlande, Pays-Bas, Italie, Pologne, Suède), 1 s’est abstenu (Belgique).

Le parlement européen a enfin adopté cette dernière version le 12 juillet 2024 qui est paru au journal officiel de l’Union européenne le 29 juillet et est entré en vigueur dès le 18 août suivant.

Que contient le règlement européen sur la préservation de la nature ?

L’article 1 définit les principaux objectifs de de règlement :

  • “Rétablir sur le long terme et de manière durable la biodiversité et la résilience des écosystèmes dans l’ensemble des zones terrestres et marines des États membres en restaurant les écosystèmes dégradés;
  • Réaliser les objectifs généraux de l’Union en matière d’atténuation du changement climatique, d’adaptation à celui-ci et de neutralité en matière de dégradation des sols;
  • Renforcer la sécurité alimentaire;
  • Respecter les engagements internationaux de l’Union.”

Comment cela se traduit concrètement ?

Le règlement fixe des objectifs à atteindre sur des périodes bien définies. Les Etats doivent, en fonction de leurs spécificités, mettre en place une feuille de route qui leur permettra de restaurer les écosystèmes présents sur leur territoire. Le texte fournit une liste complète des types d’habitats concernés.

Restaurer les écosystèmes dégradés d’ici 2050

La loi sur la préservation de la nature impose aux États membres de mettre en œuvre des mesures permettant de restaurer 20% des écosystèmes marins et terrestres de l’Union européenne à l’horizon 2030 et l’intégralité d’entre eux d’ici 2050. Cela inclut des écosystèmes variés tels que les forêts, les zones humides, les prairies ainsi que les écosystèmes marins.

Sur la première période, la priorité doit être donnée aux zones Natura 2000, des aires protégées identifiées comme abritant des habitats et espèces menacées et représentatives de la biodiversité européenne.

Les habitats naturels considérés comme “en mauvais état” devront faire l’objet de mesures de restauration permettant de maintenir un état de conservation favorable aux espèces à long terme. Ces mesures concerneront : 

  • 30% de la surface de ces habitats d’ici 2030
  • 60% d’ici 2040
  • 90% d’ici 2050

Au-delà des efforts de restauration des habitats naturels, les Etats membres s’engagent à prévenir toute détérioration des zones restaurées et en bon état, et des écosystèmes abritant des espèces nécessitant d’être préservées. 

Protection des populations de pollinisateurs

Notre sécurité alimentaire et plus largement l’économie européenne dépendent pour beaucoup des services écosystémiques. Compte tenu de l’état des écosystèmes européen, il est devenu essentiel de prendre des mesures permettant de préserver et d’améliorer ces services essentiels.

Le règlement vise ainsi à inverser le déclin des espèces de pollinisateurs d’ici 2030. Ces insectes jouent un rôle crucial dans la fertilité des sols et la production agricole. Les États membres de l’Union européenne doivent donc prendre l’ensemble des mesures nécessaires permettant de stopper ce déclin d’ici à 2030 et obtenir une tendance à l’augmentation des populations de pollinisateurs à partir de cette date.

Restauration des écosystèmes agricoles

Les écosystèmes agricoles sont parmi les plus touchés par la perte de biodiversité, notamment à cause de l’usage de pesticides et plus généralement des pratiques d’agriculture intensive. Ils font donc l’objet d’une attention particulière.

Les Etats doivent prendre des mesures permettant d’obtenir une tendance à la hausse sur au moins 2 des 3 critères suivants : 

  • les populations de papillons de prairie
  • la quantité de carbone organique stocké dans les sols minéraux des terres cultivées
  • la part des terres agricoles présentant des particularités topographiques à haute diversité

Des mesures de restauration doivent être également prises pour augmenter les populations d’oiseaux communs des milieux agricoles. Le règlement fournit, pour chaque pays, la liste des espèces d’oiseaux concernés par ces mesures.

Restauration de la connectivité des cours d’eau

En accord avec la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, le règlement sur la restauration de la nature vise à restaurer 25 000 km de cours d’eau à travers l’Union européenne.

Les Etats doivent établir un inventaire des obstacles artificiels empêchant la connectivité naturelle des cours d’eau et s’engagent à supprimer l’ensemble des obstacles obsolètes, c’est-à-dire ne servant plus à la navigation, la production d’énergie, l’approvisionnement en eau etc.

Ces mesures doivent également permettre de restaurer les fonctions naturelles des plaines inondables situées tout au long des cours d’eau ciblés.

Les arbres et écosystèmes forestiers

Les Etats doivent mettre en place des mesures permettant de renforcer la biodiversité forestière. Sont notamment visées les populations d’oiseaux qui feront l’objet d’un suivi particulier.

Les Etats devront obtenir une tendance à la hausse sur 6 des 7 indicateurs suivants : 

  • bois mort sur pied
  • bois mort au sol
  • part des forêts inéquiennes
  • connectivité des forêts
  • stock de carbone organique
  • part des forêts où prédominent les essences d’arbres indigènes
  • diversité des essences d’arbres

En parallèle, le règlement réaffirme l’objectif de l’UE de planter 3 milliards d’arbres d’ici 2030, dans tous les milieux (forestiers, urbains, agricoles…), en privilégiant évidemment les espèces indigènes. La Commission européenne a mis en place un compteur en ligne permettant de suivre le déroulement de ce projet.

Toutes ces mesures visent à restaurer la biodiversité, créer de nouveaux puits de carbone et à favoriser le développement de corridors écologiques.

Restauration des écosystèmes urbains

Le règlement rappelle que les écosystèmes urbains représentent 22% de la surface de l’UE et concentrent une grande majorité des populations européennes.

L’adaptation au changement climatique est l’un des principaux enjeux de ces zones urbaines, propices au développement d’îlots de chaleur.

Les Etat devront s’assurer que d’ici 2030, la proportion d’espaces verts urbains et de couvert arboré ne diminue pas. Ils devront, à partir de 2031, prendre les mesures nécessaires pour augmenter cette part.

La mise en oeuvre du règlement européen sur la préservation de la nature

Chaque Etat membre de l’Union européenne doit d’ores-et-déjà prendre les premières mesures nécessaires puis devra constituer et présenter à la Commission un plan de restauration pour le 1er septembre 2026 au plus tard. La Commission évaluera ensuite sa conformité.

Les plans de restauration contiendront notamment

  • la quantification des espaces à restaurer au sein de leur territoire
  • les objectifs fixés pour chacun des points mentionnés dans le règlement
  • les modalités de mise en œuvre
  • le budget nécessaire et mobilisé pour atteindre les objectifs fixés
  • le calendrier de mise en place des mesures de restauration

Ils devront assurer un suivi régulier des différents indicateurs de biodiversité

A savoir que dans le cadre de la Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, un outil de suivi des actions menées est déjà disponible sur le site de la Commission européenne. Il liste les différents objectifs que s’est fixé l’UE ainsi que leur statut actuel.

Aperçu de l’outil de suivi des actions menées dans le cadre de la Stratégie de L’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 (Source : EU biodiversity strategy actions tracker)

A la demande du Parlement européen a été ajouté un dispositif permettant de stopper les mesures mises en place dans le cadre de la restauration des écosystèmes agricoles. Celui-ci ne peut être activé que dans des circonstances exceptionnelles pouvant menacer la sécurité alimentaire de l’Union européenne. Il répond aux inquiétudes portées par les représentants du monde agricole quant à l’impact potentiel de telles mesures sur leur activité et leur capacité de production.

Les défis de la mise en œuvre

Les difficultés qu’ont eu les institutions européennes à trouver un accord pour ratifier ce règlement présage des défis auxquels sa mise en œuvre sera confrontée. Ceux-ci, multiples, vont nécessiter une coopération étroite entre les Etats membres et une vision commune sur le long-terme.

La coordination entre Etats

La coordination entre les différents États membres de l’UE représente un enjeu de taille. Chaque pays dispose de contextes écologiques, économiques et sociaux différents, ce qui peut rendre difficile une application uniforme du règlement à travers l’Union européenne. Les divergences dans les priorités nationales, les capacités techniques et la gouvernance peuvent créer des disparités dans l'exécution des actions de restauration.

La géographie est également une disparité de taille. La France, par exemple, dispose du plus vaste espace maritime européen, dont une partie est fortement dégradé, et fait donc face à des enjeux de taille auxquels ne sont pas confrontés par exemple des pays d’Europe centrale. Le secteur de la pêche, déjà en difficulté, a ainsi d’ores-et-déjà exprimé son inquiétude vis-à-vis de la mise en application de ce règlement.

Le financement des projets de restauration

Le financement des projets constitue ensuite un autre défi majeur. La restauration des écosystèmes dégradés demande des investissements considérables sur le long terme. Bien que des fonds européens, tels que ceux de la Politique Agricole Commune ou des programmes environnementaux, soient disponibles, ils peuvent être insuffisants pour couvrir l'ampleur des besoins.

Un rapport publié le 4 septembre 2024 intitulé "Une perspective commune pour l’agriculture et l’alimentation en Europe" préconise la mise en place d’un “fonds temporaire pour une transition plus juste” qui s’ajouterait à la PAC et permettrait d’accompagner les agriculteurs à faire face aux défis posés par la transformation de leur activité et son adaptation aux conséquences du changement climatique.

Au-delà, de ces fonds européens, l'engagement des États membres, des investissements publics supplémentaires et une implication accrue du secteur privé seront forcément nécessaires pour combler ce déficit.

Le difficile suivi des résultats

Le dernier enjeu de taille est le suivi des progrès et le respect des obligations du règlement qui posent des défis techniques et administratifs. Les États membres devront non seulement atteindre des objectifs écologiques complexes mais aussi surveiller régulièrement leurs avancées.

Quels méthodologies et outils permettront de suivre l’avancement des projets et l’atteinte d’objectifs aussi variés et spécifiques ? 

Cela nécessitera des systèmes de suivi robustes, des ressources humaines qualifiées et des mécanismes pour garantir que les échéances fixées par l'UE soient respectées, sous peine de voir les efforts de restauration ralentis.

Conclusion

Le règlement européen sur la restauration de la nature représente un pas important vers la protection de la biodiversité et la résilience écologique en Europe. Bien que édulcoré après de longues négociations, il reste un élément clé du Green Deal européen, fixant des objectifs ambitieux pour inverser la dégradation des écosystèmes d’ici 2050. Cependant, son adoption n’est qu’un premier pas, car sa mise en œuvre soulève de nombreux défis. Les États membres devront surmonter des divergences de priorités, mobiliser des financements conséquents et assurer un suivi rigoureux des progrès accomplis.

La préservation de la biodiversité n'est pas seulement un enjeu environnemental, mais aussi économique et social. Les écosystèmes sont essentiels à la sécurité alimentaire, à la lutte contre le changement climatique, et à la prospérité de nombreux secteurs économiques en Europe. Le succès de ce règlement dépendra donc d'une coordination étroite entre les gouvernements, d'une participation active du secteur privé, et de la mobilisation de tous les acteurs concernés. Si l'Europe parvient à relever ces défis, elle pourra non seulement restaurer ses écosystèmes, mais aussi devenir un modèle de résilience écologique pour le reste du monde.

Sources :

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